RA 2021 Le luxe au temps de la réinvention – Réinventer le désir et la manière de créer
Manufactures à l’arrêt, salons professionnels et défilés physiques annulés, visioconférences pour échanger des idées entre créateurs et artisans, sans contact avec les matières et les outils habituels… Telle a été la réalité quotidienne dans beaucoup de Maisons. Conséquence immédiate : les créateurs et designers ont mis à profit toutes ces contraintes pour réfléchir à tout ce qu’ils pourraient faire autrement. Le retour à une vie plus normale ne sonnera pas pour autant celui des anciennes habitudes. Ainsi, et sans attendre l’entrée en vigueur de la loi « Climat et Résilience », interdisant notamment la destruction des invendus en France dès la fin 2021, l’écoconception est devenue l’enjeu de tous. Cette démarche remet à plat la façon de concevoir et de façonner les objets en tenant compte de l’origine et de l’impact des matières utilisées comme autant d’éléments déterminants pour la durabilité et la gestion de la fin de vie des produits. L’upcycling et l’emploi de matières recyclées connaissent ainsi un vrai coup d’accélérateur, comme chez Chloé. Première marque de luxe à être certifiée B Corp depuis septembre, elle pousse désormais cette logique jusque dans la conception de ses défilés avec le bureau Betak. D’ici fin 2022, les douze Maisons de mode de LVMH participeront toutes à la plateforme en ligne Nona Source, qui propose, depuis avril 2021, de valoriser les tissus inutilisés de leurs anciennes collections.
« La vente de ces stocks dormants évite à d’autres de créer de nouvelles ressources impactant l’environnement », souligne Romain Brabo, cofondateur de Nona Source. Dans sa quête de modèles adaptés au futur, le secteur du luxe redécouvre aussi la modernité de certains principes intrinsèques. Chez Hermès, le luxe se définit depuis longtemps comme « ce qui se répare » : 120 000 objets sont rapportés en magasin par les clients chaque année pour être rénovés. C’est également le cas chez Longchamp. Pour sa part, Demna Gvasalia, artisan du retour de Balenciaga en haute couture en juillet 2021, raconte avoir pris conscience, pendant la pandémie, du caractère vertueux de la haute couture où l’on ne produit que ce qu’un client commande. Un principe corroboré par le cabinet McKinsey, qui prédit que, dans la mode, grâce aux nouvelles technologies de fabrication et aux données clients, une offre personnalisée et basée sur la précommande devrait se banaliser. Autre piste de conception sans gaspillage de matières ni invendus : les objets virtuels de luxe. Ils s’appuient sur le principe de propriété numérique des « non-fungible token » (NFT) et s’adressent en premier lieu aux jeunes générations hyperconnectées qui vivent déjà à l’ère hybride des metaverses. Pourquoi en effet acheter un vêtement réel s’il s’agitjuste d’habiller un avatar pour les besoins des réseaux sociaux ou des jeux vidéo ? Cette interpénétration des mondes réel et virtuel ouvre un champ d’exploration infini. Le travail d’Olivier Rousteing pour Balmain s’en nourrit déjà, par exemple. Après avoir créé cet été des vêtements 100 % numériques hébergés sur la blockchain avecle studio digital Altava, il vient d’imaginer, avec la plateforme de streaming Netflix, une collection capsule à l’occasion de la sortie du film The Harder They Fall, dont il a conçu les costumes.
Photo : ©CHLOÉ