février 2025, Comité Colbert

Rendez-vous avec Hervé Lemoine, Président des Manufactures nationales – Sèvres & Mobilier National

Notre mission ? Valoriser l’’excellence et la vitalité de la création française. 

Directeur du Mobilier National depuis 2018 et président depuis 2022, Hervé Lemoine a donné une nouvelle impulsion à cette Institution en multipliant les projets. Dernier en date ? Son ambitieux rapprochement avec la Cité de la céramique de Sèvres. 

Le Mobilier National est l’une de nos plus anciennes institutions, et l’une des plus méconnues. Pouvez-vous nous rappeler son rôle ?
La maison est née à la fin du XIIIᵉ siècle et avait alors pour mission d’organiser l’aménagement des palais du roi, avant que celui-ci ne s’installe. Rappelons qu’à l’époque, la cour de France était itinérante et que les châteaux n’étaient pas meublés ! Il faudra attendre Henri IV pour que l’institution prenne le rôle de garde-meuble qu’on lui connait, quand la cour devient sédentaire avec le Louvre, puis Versailles. Parallèlement à la gestion de ces collections, l’objectif était de développer une politique de commande afin que le roi, et la cour, vivent dans des ameublements « au goût du jour ». Cette dimension contemporaine a perduré jusqu’au XIXᵉ mais lorsque la République a pris le pouvoir, elle a curieusement choisi de s’installer dans des meubles Empire ou XVIIIᵉ. La politique de commande a vraiment repris dans les années 60 et aujourd’hui, le Mobilier National meuble l’Élysée, les ministères, les ambassades de France à l’étranger ; avec l’idée de promouvoir les arts décoratifs et le design français.

Alors que l’on s’apprête à célébrer le centenaire de l’exposition autour des arts décoratifs qui eut lieu au Grand Palais en 1925, que signifie pour vous cet héritage ?
L’année 1925 signe un moment de bouleversement complet, l’apparition d’un nouveau style – les arts décoratifs – qui connaitra un formidable succès international. Nous allons commémorer cette date en organisant, en octobre 2025 aux Gobelins, l’exposition « Les nouveaux ensembliers », pour découvrir les décorateurs du XXIᵉ siècle et ce qu’ils ont aujourd’hui à proposer en termes de style. Une façon de célébrer l’esprit de conquête et d’avant-garde de 1925.

Depuis votre arrivée en 2018, vous vous êtes fixé pour objectif de moderniser cette institution. Qu’avez-vous mis en place ?
J’ai souhaité remettre la création contemporaine au cœur de notre mission dans les domaines du mobilier et de l’art textile, à travers nos grandes manufactures comme les Gobelins, la Savonnerie… L’objectif est de transmettre ces savoir-faire par le biais de la création contemporaine et cela ne peut se limiter à l’ameublement des lieux de la République. Quand je suis arrivé, on considérait que notre travail était accompli lorsqu’on avait décoré une belle ambassade ou un beau ministère. Je ne crois pas cela. Je pense que cet ameublement est l’une des expressions de notre vraie mission, qui est le soutien à la création.

En 2022, vous avez été chargé, par la Ministre de la culture et la Ministre déléguée chargée des PME, du commerce et de l’artisanat, d’initier le rapprochement entre le Mobilier National et la Cité de la Céramique de Sèvres. C’est chose faite depuis le 1er janvier 2025. Quels sont les objectifs ?
Il s’agit de dépasser un fonctionnement en silo par typologies de création – porcelaine, textile, mobilier – et de renouer avec la tradition de l’art décoratif français qui passe par une hybridation des techniques, à l’image aussi de la création contemporaine. Nous allons servir un écosystème plus large puisqu’il inclut désormais les arts du feu et nos Manufactures nationales, enfin réunies dans une seule entité. Les lieux resteront toutefois les mêmes : Sèvres, le Mobilier National et nos huit manufactures en région. Nous sommes très attachés à l’idée que ce secteur soit implanté dans tout le pays. La France compte aujourd’hui 248 000 entreprises de savoir-faire et 80 % sont en région. Notre objectif est de soutenir ces réseaux territoriaux. Il n’y a donc pas d’unicité de lieux, mais une unicité d’actions.

Cette mission s’inscrit dans une tradition de l’état français, la volonté politique d’agir en faveur des métiers d’art. Quatre siècles après Colbert, quel rôle peut-il jouer dans ce domaine ?
Vous avez raison de citer Colbert mais ensuite l’État s’est un peu désengagé et il faut attendre 1976, et la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, pour que soit à nouveau pensé un soutien aux métiers d’art. Aujourd’hui, l’état porte une vraie stratégie en faveur du secteur. Notre rôle est d’être, une nouvelle fois, le bras armé de cette politique et de porter un certain nombre d’actions.  Notre objectif est notamment de préserver ces savoir-faire avec la création d’un centre de formation dédié aux métiers rares. Aujourd’hui, seule une centaine est enseignée alors qu’on en compte 281 en France. Si on ne réagit pas, les autres vont disparaître. 

Dans le cadre de ce rapprochement, vous inaugurez à l’automne un Laboratoire des pratiques durables. Quels sont les enjeux ?
Les métiers d’art sont, par nature, des métiers à bas carbone dont les créations durent plusieurs centaines d’années. En revanche, certaines pratiques ne sont pas forcément vertueuses.  Le vernis d’un menuisier n’a, par exemple, rien écologique ! Nous développons donc, avec Sèvres, ce projet qui nous tient beaucoup à cœur. La question de la couleur, notamment, se pose pour tous nos ateliers qui utilisent des pigments chimiques et des fixateurs très polluants. Grâce à ce laboratoire, nous allons développer une recherche permettant d’élaborer des composants de substitution, plus vertueux. Et il faut faire vite car les Bleus de Cobalt et de Sèvres sont déjà interdits par les réglementations européennes ! L’objectif est de trouver des solutions et de les partager en open source, car les artisans n’ont pas les moyens, individuellement, de mener de telles recherches.

Le Mobilier National vient de participer, à Shanghai, à l’exposition Résonnances Art Déco Paris Chic-Shanghai, présentant plusieurs pièces de sa collection. La création de ce pôle public est-elle une façon de développer ce fameux « soft power » français ?
Cette exposition, conjointe à celle du Comité Colbert, témoigne de notre volonté d’aider nos artisans d’art à se faire connaitre à l’international, alors que l’export ne représente que 14 % de leur chiffre d’affaires. Nous les incitons à participer aux salons de design ou d’arts décoratifs (New York, Miami…). Nous développons des projets via nos résidences à l’étranger où nous envoyons de jeunes créateurs. En 2024, nous avons emmené des architectes d’intérieur à New York et avons organisé des rencontres avec des acteurs français installés aux États-Unis, pour un partage d’expériences. Ces initiatives sont neuves mais notre mission reste la même… Valoriser l’excellence et la vitalité de la création française.

CREDIT PHOTO :
Portrait Hervé Lemoine -©Thibault Chapotot