March 2025, Comité Colbert

Rendez-vous avec Sylvain Amic, Président des musées d’Orsay et de l’Orangerie

« Comprendre une oeuvre, c’est aussi comprendre comment elle a été fabriquée ».

Du 3 au 6 avril prochain, le musée d’Orsay participe pour la première fois aux Journées Européennes des Métiers d’Art (JEMA) en accueillant la quatrième édition de l’exposition Entrez en Matières organisée à l’initiative des Manufactures Nationales – Sèvres & Mobilier National, du Campus Momade – Mode, métiers d’art et design, du Comité Colbert et le syndicat professionnel Ateliers d’Art de France. Pendant quatre jours, artisans d’art et collections se côtoieront dans une mise en scène exceptionnelle, offrant au public une immersion unique au coeur des savoir-faire d’excellence.

Orsay est le premier musée national à participer aux Journées Européennes des Métiers d’art en accueillant une exposition. Pourquoi ce choix d’offrir le musée en écrin ?
Le musée d’Orsay est installé dans une gare qui abritait autrefois un grand hôtel et même un restaurant. C’est un monument de l’architecture du XIXᵉ siècle mais aussi un parfait témoin des savoir-faire français, à la fois industriels et artisanaux. Ses décors, ses ornements portent l’empreinte des métiers d’art et de la technologie. De plus, Orsay n’a pas été conçu seulement comme un musée de peinture, il abrite de la sculpture, des arts graphiques, des arts décoratifs, de l’orfèvrerie…. Il s’agit d’un musée pluridisciplinaire, qui, à ce titre, peut naturellement convoquer les 281 métiers d’art français.

Quels ateliers de restauration et quels artisans réunit-il ?
Nous disposons d’un atelier pour l’art graphique avec des restaurateurs qui travaillent à l’encadrement des dessins et à la restauration des cadres anciens. D’autres artisans d’art travaillent avec nous pour le soclage ou le montage des œuvres. Et puis, il y a bien sûr les restaurateurs de sculptures, de peintures, de photographies qui œuvrent en collaboration avec notre équipe. Enfin, d’autres métiers sont intégrés à l’établissement comme les menuisiers qui dessinent du mobilier pour le musée, sous la houlette d’architectes et de designers. Nous accueillons aussi des artisans pour la restauration du monument historique, la gare d’Orsay.

Orsay abritera l’exposition intitulée Entrez en matières qui prend la forme d’un parcours immersif. Quels sont les partenaires à l’origine de sa conception ?
Il s’agit d’une grande fête qui associe des acteurs très différents. D’une part, les Manufactures Nationales -Sèvres & Mobilier Nationale qui réunissent la quintessence des savoir-faire français ; le Comité Colbert avec ses 113 maisons de luxe et institutions françaises elles aussi détentrices d’un héritage considérable et bien vivant et, enfin, le syndicat Ateliers d’Art de France. D’autre part, 19 écoles de formation du Campus Mode, Métiers d’Art, Design – Manufacture des Gobelins.  Toutes ces partenaires s’inscrivent dans un cercle vertueux, afin de proposer une approche globale de ces métiers.

Comment l’événement va-t-il s’organiser ?
Des espaces de démonstration vont être installés au sein même du musée, notamment dans les salles dédiées à l’art décoratif… Il s’agit de petits ateliers emmenés par les artisans de 10 maisons du Comité Colbert qui participent à l’événement, des Manufactures Nationales et des artisans sélectionnés par Ateliers d’Art de France. Ils permettront aux visiteurs de découvrir huit grands savoir-faire autour des matières, le bois, le cuir, le métal, la tapisserie, la pierre entre autres mais aussi les expérimenter. Pratiquer eux-mêmes, un outil à la main, est une façon très efficace de comprendre la complexité qu’exige la production d’une sculpture ou d’une tapisserie… Dans le même temps, les écoles, également présentes, donneront toutes les informations en termes de cursus et de débouchés.

Vous avez été, au ministère de la Culture, en charge des métiers d’art et avez largement contribué, à ce titre, à la rédaction du plan qui leur a été dédié. Quel était l’enjeu de ce plan ?
J’ai, en effet, été membre du cabinet de la ministre Rima Abdul Malak qui avait fait des métiers d’art l’une de ses priorités. L’objectif était de structurer cet univers en créant notamment un contrat de filière pour les métiers d’art, comme il en existe un pour le luxe et la mode. Il s’agit, concrètement, de réunir l’ensemble des acteurs autour d’objectifs communs, qu’ils soient économiques, environnementaux ou liés aux formations ; de faire « système » en quelque sorte. Cette démarche est très importante pour les métiers d’art qui sont longtemps restés un univers très « archipélisé », avec de nombreux atouts mais pas de structure et de stratégie partagée. Dans ce cadre, nous avons travaillé à mettre en relation les différents acteurs et leur donner les moyens de leur développement. La réunion du Mobilier National avec Sèvres, fait, par exemple, partie de ce plan lancé en 2023 pour une durée de trois ans.

L’enjeu de ce plan est de donner une visibilité des métiers d’art, d’attirer une nouvelle génération d’artisans ?
C’est d’abord une façon de faire connaitre la richesse encore méconnue de cet univers. Certains métiers sont bien identifiés par le public, mais d’autres restent totalement ignorés. De plus, on sait peu qu’ils offrent de réelles capacités d’emploi et une vraie source d’épanouissement. C’est le message que nous voulons faire passer. Les métiers d’art proposent des formations de haut niveau (L3 et jusqu’au doctorat), des débouchés, et constituent surtout une forme de réalisation de soi. Enfin, ils portent autant les valeurs d’une tradition qu’ils mobilisent la recherche et l’innovation.

Ces journées réuniront le public des JEMA -scolaires et étudiants- mais aussi les habitués d’Orsay. Voyez-vous cela comme une richesse pour ces deux publics ? Et combien de visiteurs attendez-vous ?
Cet événement est largement tourné vers les jeunes et nous prévoyons d’accueillir jusqu’à 5 000 jeunes dont une partie viendra découvrir l’exposition dans le cadre scolaire. Le week-end, c’est un tout autre public, intéressé par les métiers d’art pour une partie, et pour une autre par les collections du musée qui se côtoierons. La moyenne d’âge des visiteurs d’Orsay est de 40 ans et ce mix générationnel est déjà très intéressant en soi. Pour ces deux publics, c’est une bonne façon de compléter une approche de l’art en convoquant tous les sens – le regard mais aussi le toucher et le geste. Comprendre une œuvre, c’est aussi comprendre comment elle a été fabriquée. Cette exposition agira enfin comme un catalyseur et un amplificateur de la visibilité des métiers d’art. Orsay reçoit 10 000 à 12000 visiteurs par jour. Si on y ajoute le public métiers d’art, nous en serons à 50 000 visiteurs pour la totalité de ces journées. Les JEMA n’ont jamais bénéficié d’une telle audience.

Le musée d’Orsay est membre du Comité Colbert. Quelles sont les valeurs qui vous rassemblent ?
Le Comité réunit les maisons du luxe français dont beaucoup ont été créées au XIXᵉ siècle, époque de référence pour le musée d’Orsay qui, je le rappelais, abritait alors un hôtel et un restaurant avec des métiers proches de ceux valorisés par le Comité Colbert. Par ailleurs, nous partageons les mêmes valeurs, notamment l’excellence. Enfin, n’oublions pas la mission des musées créés à la Révolution française -mettre à disposition de tous un patrimoine privé, dans le but d’éduquer et de développer les savoir-faire aussi bien intellectuels que manuels. Les musées ont aussi été imaginés pour que des artistes et des artisans puissent y découvrir les œuvres les plus extraordinaires, les savoir-faire les plus inspirants.

La présence de l’artisanat d’art dans un lieu comme Orsay est-elle une façon de souligner aussi la modernité de ces métiers ?
On a souvent une vision de l’art très hiérarchisée, avec la peinture au sommet et les autres arts pensés comme des corollaires. En fait, tous les artistes – et notamment les impressionnistes – ont travaillé dans tous les domaines. Renoir a débuté dans la peinture sur porcelaine et terminé avec la sculpture. On pense souvent les impressionnistes comme des peintres de l’extérieur mais la plupart étaient également fascinés par le décor et l’architecture. Pensez aux cathédrales de Monet ! Il existe donc un vrai lien entre métiers d’art et impressionnisme avec, toujours, cette volonté de réformer l’ensemble des arts, comme c’est le cas pour toutes les avant-gardes.

Cet événement vient consacrer les liens entre le musée et les métiers d’art. Est-ce le signe d’un rapprochement pérenne entre ces deux univers ?
Orsay va fêter ses 40 ans en 2026 et nous prévoyons à cette occasion d’inaugurer de nouvelles salles autour des arts décoratifs, dans lesquelles les métiers d’art auront toute leur place. En 2027, trois ateliers de pratiques artistiques ouvriront leurs portes. Le musée Orsay sera ainsi en mesure d’incarner ce moment particulier de la fin du XIXᵉ siècle qui signe l’émergence de la période industrielle. Un moment de bascule que l’on identifie trop souvent comme celui de la disparition des savoir-faire. Nous montrerons, au contraire, qu’ils étaient plus vivants que jamais, comme en attestent notamment les expositions universelles qui mettaient en lumière les chefs d’œuvre du savoir-faire français.

CREDIT PHOTOS :
Portraits Sylvain Amic, Photo Musée d’Orsay, dist. GrandPalaisRmn (c) Allison Bellido