Quel est notre rôle ?
Et quelle est notre utilité dans la société ?
La réflexion autour de la « raison d’être », une notion apparue en France dans le rapport Notat-Senard et entrée dans l’arsenal juridique français en mai 2019 par le biais de la loi Pacte, a placé ces questions au premier plan dans toutes les Maisons de luxe. Tout est parti de l’idée que l’entreprise et ses dirigeants ne sont pas seulement au service de leurs actionnaires, mais que leur responsabilité s’étend également à leurs parties prenantes et, plus largement, à la société et à la planète. Autre enjeu, en plein débat citoyen autour du capitalisme : réconcilier la société avec les entreprises en soulignant l’utilité de ces dernières. Le luxe ne peut sortir que grandi de cette exploration existentielle, requise par un besoin de se projeter avec lucidité vers le futur, aussi incertain et menaçant soit-il. Car il ne s’agit pas de se trouver un nouveau slogan ou de rebâtir sa stratégie marketing, mais bien de revisiter ses fondamentaux, comme le résume la philosophe Sophie Chassat, associée au sein du cabinet Wemean et membre du conseil d’administration de LVMH.
Il faut se demander : « Pourquoi je fais ce que je fais ? Quelle est la finalité, le sens ultime de mon activité ? (1) »
L’intellectuel Emanuele Coccia observe cette quête de sens dans la mode, l’un des laboratoires philosophiques les plus actifs du moment selon lui. Il loue la capacité de certains designers à « intellectualiser et conceptualiser n’importe quel phénomène social et culturel ». Le succès commercial de leurs collections témoignerait ainsi de « l’intérêt grandissant du public pour une mode qui pense, qui interroge et qui n’est plus seulement là pour annoncer la couleur tendance des six prochains mois. (2) » Au-delà des mots d’ordre, il est possible d’organiser l’activité et les modèles économiques à partir des interdépendances entre une diversité d’enjeux économiques, sociaux, climatiques, environnementaux, plutôt qu’en les hiérarchisant, suggère la sociologue Sophie Dubuisson-Quellier, directrice de recherches au centre de sociologie des organisations Sciences Po-CNRS. (3)
Le débat sur le rôle des Maisons de luxe ouvre donc des pistes fécondes sur la façon dont elles sont amenées à repenser leur façon d’habiter dans la cité et d’agir sur le monde. Réaffirmant la place importante qui est la leur.
1. Sophie Chassat dans Les Échos, 22 avril 2022.
2. Emanuele Coccia dans Le Monde, 15 juillet 2022.
3. Sophie Dubuisson-Quellier dans AOC, 14 juillet 2020.
Photo : ®Sophie CARRE DIOR