March 2025, Comité Colbert

Rendez-vous avec Jacques Huybrechts, fondateur de l’Université de la terre

« Les entreprises sont une force de transformation formidable »

 Le Comité Colbert sera, cette année encore, partenaire de l’Université de la terre qui se tiendra les 14 et 15 mars à l’Unesco, témoignant ainsi du lien naturel entre luxe et écologie. Avec Jacques Huybrechts, le point sur les temps forts de cette nouvelle édition, qui proposera notamment deux conférences proposées par le Comité.

L’université de la terre fête ses 20 ans. Comment est né le projet ?
J’ai eu l’idée de cet événement dès 1992, à l’issue du Sommet de la Terre de Rio qui fut pour moi un vrai déclic. J’étais encore étudiant mais j’ai compris alors que l’un des défis majeurs de nos sociétés était de sensibiliser les citoyens à l’urgence des enjeux environnementaux. J’ai attendu ensuite 2005 pour concrétiser ce projet, à la faveur de deux rencontres. L’une avec un lieu, l’UNESCO qui cherchait un événement pour célébrer les 60 ans des Nations Unies. L’autre avec notre premier partenaire, François Le Marchand -fondateur de Nature et Découvertes- qui a été séduit par ce projet d’une université ouverte, populaire et citoyenne, pour penser et agir en faveur de la nature.

Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru depuis 2005 ?
 J’ai le sentiment que nous sommes passés de la prise de conscience à la compréhension, puis à l’engagement. Cette dernière question est centrale dans le contexte de repli face aux questions écologiques observées aujourd’hui. Il existe un courant contraire à combattre et notre rôle est, plus que jamais, de rassembler celles et ceux -entreprises, citoyens, acteurs publics… décidés à avancer. Je reste toutefois optimiste car je vois une nouvelle génération très engagée, avec de nombreux mouvements créés dans les écoles et les universités. Ces jeunes accélèrent la prise de conscience de la société qui ne peut rester indifférente à l’anxiété ressentie face à leur avenir, et celui de la planète.

Le thème de cette édition est « Nature = futur ». Expliquez-nous ce choix…
Le futur se dessine largement autour de l’intelligence artificielle, d’un univers numérisé et, de fait, déconnecté des réalités, notamment naturelles. Nous pensons, au contraire, que le futur doit se faire avec la nature. Nous portons une idée du progrès qui réintègre le vivant dans sa conception, et son fonctionnement. Qui se mette au service du meilleur pour l’humanité, et non du pire. Il faut veiller, se mobiliser pour prôner un modèle différent de celui en train de se développer aux États-Unis, en Russie ou en Chine. Face à cela, nous devons bâtir une Europe humaniste, écologique, citoyenne et démocratique.

Quels seront les temps forts de l’événement ?
Nous débuterons par une rencontre le 14 mars avec Philippe Descola, Baptiste Morizot et Kalina Raskin afin de définir ce que signifie nature & culture pour un anthropologue, un philosophe et une spécialiste du biomimétisme. Le 15, nous aurons un moment avec la journaliste et productrice Claire Nouvian, le spécialiste du réchauffement climatique Jean-Marc Jancovici et la glaciologue Heïdi Sevestre qui viendront débattre autour de cette question « Nous savons, et maintenant, que faisons-nous ?». Et, je vous le dévoile en avant-première, nous accueillerons Paul Watson qui répondra à cette interrogation : « Faut-il être radical pour être entendu ?».

Entretemps, nous aurons organisé 54 conférences et cinq parcours (dédiés à l’international, aux entreprises, aux familles…). Nous aurons aussi annoncé le lancement de la première action citoyenne portée par l’Université, grâce à la création d’un fonds de dotation pour soutenir des projets autour de la reconnexion au vivant. Intitulée « 1, 2, 3 dehors », cette action a pour vocation d’encourager les citoyens à retrouver ce lien vital avec la nature.

« Je crois, écrivez-vous sur votre profil LinkedIn, à la convergence des engagements professionnels et personnels. L’entreprise peut changer le monde ». Est-ce réellement le cas ?
Je m’intéresse à ces sujets depuis plus de 20 ans, je suis moi-même entrepreneur à mission et je constate un engagement heureusement irréversible, notamment sur la question des énergies renouvelables. Le fossile va disparaître, c’est une évidence. Dans le cadre de la session de l’Université intitulée Économie en mouvements, nous avons défini les marqueurs-clé de l’engagement vertueux d’une entreprise. Cela va de la volonté de limiter ses impacts à une réflexion sur le partage de la valeur créée. D’un leadership moins vertical à la mise en œuvre de mesures de l’efficacité écologique ou encore une coopération avec les élus et les pouvoirs publics. Les entreprises doivent s’engager à porter ces enjeux car elles ont un rôle-clé, une force de transformation formidable.

L’entrée en vigueur récentes de réglementations nationales auxquelles vont s’ajouter des régulations européennes dans le cadre du Green deal, ne sont-elles pas plus efficaces pour la prise de conscience collective ?
Les réglementations sont essentielles car elles fixent un cadre, mais elles doivent être imposées aux entreprises dans le respect de leur capacité à faire. On ne peut avoir les mêmes exigences avec les TPE qu’avec un groupe international, même si les petites entreprises doivent, tôt ou tard, suivre les évolutions. Leurs donneurs d’ordres sont en effet fondés à leur demander des comptes puisqu’il faut tracer l’efficacité écologique et sociale de toute la chaîne de valeur. Face à cela, je pense que les grands groupes ont une responsabilité d’accompagnement de leurs fournisseurs dans cette transformation. Par ailleurs, nous sommes tous suspendus aux prochaines échéances européennes, notamment en ce qui concerne le green deal, très menacé.

Le Comité Colbert est l’un des partenaires de cette université, témoignant du lien naturel entre luxe et écologie… Quel regard portez-vous sur cette industrie et ses engagements ?
Le Comité Colbert nous a rejoint en 2022 car nous avons, à l’évidence, un territoire de travail en commun. Le luxe milite pour la préservation des savoir-faire, du temps long, d’une production durable et locale. Par ailleurs, le secteur est pionnier en termes d’innovation et de préservation des ressources, ce qui en fait un partenaire important.

Le premier débat initié par le Comité Colbert a d’ailleurs pour thème « Prendre soin de nos ressources, le nouveau luxe ». Comment jugez-vous les initiatives mises en place par le secteur dans ce domaine ?
Je voudrais d’abord rappeler que la question de la surexploitation des ressources est l’une des causes principales du réchauffement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Chaque année, 60 milliards de tonnes de ressources sont extraites dans le monde, ce qui est effrayant ! Le luxe a pris conscience de la question de façon pionnière et travaille à une écoconception de ses produits, au développement d’une économie circulaire ou encore à un sourcing plus vertueux. Les maisons de joaillerie, par exemple, sont aujourd’hui très exigeantes sur l’origine de l’or et des pierres qu’elles utilisent. Enfin, la bonne santé du secteur lui permet aussi d’investir dans l’innovation.

« La nature, source de solutions » est le thème choisi pour la deuxième conférence organisée par le Comité. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette approche ?
La réponse aux défis écologiques et sociétaux à relever se trouve parfois sous nos yeux. La nature est une formidable source d’inspiration que l’on n’utilise pas suffisamment. Seul le vivant, par exemple, possède une capacité de régénération. Il est essentiel de mettre ces mécanismes uniques au service de la reconstitution de nos écosystèmes. Le secteur l’a bien compris, notamment dans les vignobles où la régénération des sols est une grande question. Par ailleurs, le biomimétisme est aussi source d’émotion et de création, valeurs clé du luxe.

Parallèlement à l’Université de la terre, le Comité Colbert a choisi de réfléchir cette année au stress hydrique. Le luxe a-t-il l’obligation de montrer le chemin aux autres secteurs ?
Le choix du Comité est totalement pertinent. La demande d’eau dépasse aujourd’hui l’offre de 40%, et la pénurie va encore s’accroître avec le réchauffement climatique. Face à ce constat, l’économie a montré l’exemple et le luxe en particulier, en travaillant à une réduction de l’empreinte de sa consommation d’eau. Plus globalement, je pense que la préservation des ressources constitue l’une des responsabilités majeures du secteur. Il n’a plus à faire ses preuves en termes d’attractivité, d’esthétique ou d’imaginaire. En revanche, le luxe doit rappeler qu’il est synonyme de valeur dans tous les sens du terme, avec des créations qui portent l’excellence des savoirs faire mais aussi la préservation de nos ressources les plus précieuses, qui sont celles de l’humanité.

Lien vers L’Université de la terre

CREDIT PHOTO :
Portrait Jacques Huybrechts ©MaryLou Mauricio